Ma première passion

Petite, je me demandais souvent quelle pouvait bien être ma passion : tout le monde semblait en avoir une sauf moi.
Adolescente, ce questionnement a continué.
J’ai commencé à avoir un début de réponse : l’humain. Vaste domaine.
Progressivement, les choses se sont précisées.
L’adulte étant déjà très formaté et parfois désespérant, ce qui me passionnait c’était l’enfant.
Pas l’esprit d’enfance au sens insouciance, non. La vie n’est pas insouciante.
L’enfant. Cette merveille. Ce grand potentiel. Cette leçon de vie.

Evidemment, cette passion demande un peu plus d’attention et de patience que la photographie.
La photographie, c’est beau, c’est utile, c’est une collection de moments passés, bons ou mauvais,
c’est une trace de notre vie, de ce qu’on a été, de ce qu’on a vécu.
Mais ce n’est pas ma première passion.

Pourquoi est-ce que je suis passionnée par l’enfant ?
Je suis émerveillée par ses façons de réagir à ce qu’on appelle la vie.
L’enfant a cette capacité à s’émouvoir de tout.
Il est fragile et en même temps il a une sacrée force en lui.
Il est précieux, mais beaucoup le considèrent comme un enquiquineur professionnel.
Alors que si on s’arrête pour le regarder, on se rend compte à quel point il nous apprend la vie mieux que quiconque.

Qui a plus d’appétit pour la vie qu’un enfant ?
Qui a plus de joie de vivre qu’un enfant ?
Qui a plus de compassion qu’un enfant ?

J’ai eu la chance de m’intéresser très tôt au fonctionnement de l’humanité.
A quinze ans, je lisais déjà des livres de développement personnel et d’éducation.
J’en étais venue à la conclusion que si on voulait faire avancer l’humanité,
il fallait prendre soin de ses enfants en premier.
Naturellement, je rêvais de trouver un métier qui me permette d’accompagner l’enfant.
En quelques années, je me suis rendu compte que les seuls enfants
sur qui on puisse avoir un réel impact durable, sauf exception, ce sont ceux avec qui l’on vit.
Aucun autre métier ne pouvait satisfaire ce besoin de voir un enfant évoluer sous mes yeux que le métier de Maman. C’était devenu mon but dans la vie : vivre cette grande aventure, plus belle que fatigante.
Alors j’avais imaginé des métiers compatibles avec la vie de famille.
Je n’aurais jamais imaginé, à l’aube de mes 18 ans,
que le métier de photographe serait le plus adapté. Je l’ai découvert sur le tas.

J’ai travaillé pendant quelques années à l’éducation nationale.
D’abord avec des enfants d’âge primaire puis avec des lycéens
et enfin avec des collégiens délinquant. Ayant commis des délits, oui.
Ce poste a été le plus passionnant et celui sur lequel je suis restée le plus longtemps.
En parallèle, j’avais commencé une licence d’Administration Economique et Sociale
(bien utile pour une entreprise finalement).
J’espérais entrer en L3 de Sciences de l’Education
(puisque ce n’était pas accessible dans ma ville avant ce niveau) et j’ai pris cette option en 2ème année.
En 1ère année, j’avais choisi la photographie
(à l’époque, je ne comprenais pas ce que la prof attendait de moi).
En vivant l’option Sciences de l’Education, j’ai été déçue par ce que j’y apprenais :
ça parlait plus de l’institution éducative que du développement de l’enfant…
Peut-être qu’une option ne suffit pas à se faire une idée sur le domaine.
Toujours est-il que, travaillant avec des délinquants, j’étais plus passionnée par le terrain
que par ce qui m’était proposé à l’université.
J’ai donc arrêté.
Je ne regrette pas cette décision aujourd’hui.
Ce que je pourrais regretter, c’est de ne pas m’être orientée correctement dès le départ.
Mais ce qui est fait est fait.

Ma petite soeur est devenue Maman avant moi alors que personne ne s’y attendait.
Heureusement, elle m’a laissé une place importante dans sa vie malgré la distance géographique
et j’ai presque vécu la maternité par procuration.
Ma nièce a été la première enfant que j’ai pu voir évoluer.
Lorsqu’elle a eu 9 mois, elle a commencé à jeter des objets par terre
et à recommencer malgré les interdictions parentales.
On a compris à ce moment là pourquoi les jeux de la chaise haute de mes parents
étaient attachés par une ficelle : pour laisser l’enfant expérimenter mille fois sans avoir se baisser à chaque fois.
Ma soeur avait l’intuition que sa fille ne faisait pas ça pour l’embêter.
Son mari, lui, penchait plutôt pour le « caprice » et lui a même donné une tapette sur la main.
Cette goutte a été celle de trop.
Ma soeur s’est mise à chercher d’autres ressources.
Et c’est ainsi que nous sommes tombées toutes les deux
sur le vaste monde méconnu de l’éducation bienveillante, positive, ludique.

Nous avons lu Filliozat et Gueguen en premier.
Rien que dans leurs ouvrages nous avons trouvé mille et une astuces
qui ont facilité le quotidien maternel de ma soeur et l’ont rendue plus zen.
Elle avait même commencé un blog sur le sujet : « Maman Zen et Epanouie ».
Nous avons ensuite lu d’autres auteur chacune de notre côté mais les bases avaient bien été posées.
Nous avons découvert une multitude de ressources sur internet (jamais les formations payantes par contre).
Ma soeur a testé et approuvé beaucoup de choses.
Elle a eu la chance de s’y prendre assez tôt.
De ne pas laisser les VEO (violences éducatives ordinaires) commencer puis s’installer.

J’ai observé les jolis fruits de ce respect du rythme de l’enfant et j’ai découvert d’autres familles qui le vivaient aussi.
Le métier de photographe m’a également aidé à en rencontrer.
Ces découvertes éducatives ont été un atout majeur dans notre parcours d’adoption :
avec un enfant qui a été blessé par la vie,
on ne peut pas se permettre d’ajouter des blessures liées à une violence ordinaire
sous prétexte qu’elle serait « éducative ».
Cet enfant a besoin de sécurité par-dessus tout,
notion bien plus précise et concrète que le besoin d’amour.
Pour sécuriser un enfant, il faut répondre à ses besoins systématiquement et être fidèle au poste jour et nuit.
Oui, là est le grand défi de la parentalité adoptive
telle qu’on nous l’a enseignée au cours de nos multiples entretiens préparatoires.
Cette posture d’accompagnant fiable serait tout aussi bénéfique
à n’importe quel autre enfant n’ayant pas vécu le traumatisme irréparable de l’abandon.

Ma jolie Gabrielle est arrivée alors que je venais d’avoir 28 ans.
Je rêvais d’avoir mes enfants jeune, à 20 ans, pour prouver au monde
que c’était possible et même que ça pouvait être souhaitable.
Mais je suis bien obligée de constater que
je n’aurais pas été la même mère à 20 ans que celle que je suis à 30 ans.
Non pas à cause de mon âge.
Mais parce que j’ai eu le temps de me former sur la question éducative.
Il a été plutôt facile pour moi de devenir Maman.
Je m’attendais à la fatigue que ce rôle pouvait m’occasionner
mais je savais aussi que c’était le rôle de ma vie.
Que les émerveillements et les moments ressourçants allaient peser bien plus lourd dans la balance
que la fatigue et les limites humaines.
Ces fameuses limites : c’était facile d’être agréable en tout temps et en tout lieu quand je n’avais pas d’enfant.
J’ai découvert avec cette fonction tenue H24
combien il n’était pas possible humainement d’être une mère parfaite et pleine d’énergie à tout moment.
On peut avoir cette volonté mais nos limites humaines nous rappellent bien vite à l’ordre.
Ce qui n’empêche nullement de faire de notre mieux.
« Il vaut mieux fait que parfait », lisais-je l’autre jour sur le compte Instagram de « Fabuleuses aux foyer ».
C’est tellement vrai. Arrêter de me mettre la pression pour être une mère parfaite m’a rendue tellement plus zen.
Cette découverte, je l’ai faite pendant le confinement,
ce moment où j’ai vécu ce que vit ma soeur : l’isolement géographique.
Mon quotidien d’avant était plus tranquille
parce que j’avais de la ressource dans mes semaines, entre mon travail et mon entourage.
Celui du confinement a été tranquille pendant un mois.
Les dernières semaines se sont avérées plus compliquées
(j’ai un handicap qui me donne aussi la fatigue d’un autre âge).
Mais la toute fin s’est apaisée lorsque j’ai décidé d’arrêter de me mettre la pression par-dessus la fatigue
et de juste vivre une minute après l’autre.

Pendant les 6 mois de suivi post-adoption,
l’assistance sociale avait cherché à me faire dire ce qui était difficile dans mon quotidien.
Elle avait du mal à admettre que tout puisse se passer aussi sereinement que ce que je laissais paraître.
Pourtant c’était vrai. La réalité de la parentalité n’était pas une découverte pour moi.
Je m’attendais à pire.
Alors ce que je vivais était facile à côté, vraiment tranquille.
D’autres parents dans des situations similaires le vivaient plus difficilement.
Mais la préparation que la vie m’a offerte de vivre a vraiment été un cadeau pour ma fille.
Evidemment, comme dans toutes les familles, nous rencontrons des difficultés.
Mais aucune n’est insurmontable, aucune ne nous met à terre, aucune ne nous décourage.
Nous vivons cette vie, jour après jour, sereinement.
Nous vivons la fatigue, comme tout parent, bien sûr,
mais nous sommes heureux, vraiment heureux, pleinement heureux.

C’est un régal pour moi de constater à mon tour avec ma propre fille
que me mettre à son rythme élimine la plupart des occasions de tensions.
J’ai été scotchée par son développement.
Je suis époustouflée par sa capacité d’observation
et par sa mise en pratique dans son quotidien de ce qu’elle a observé.
Je suis émerveillée par la façon dont elle parvient à s’exprimer.
Il a suffit de l’accueillir comme elle est, de l’écouter, de l’encourager.

Pour le moment, j’ai renoncé à l’idée d’accompagner les enfants des autres :
les mieux placés sont leurs parents
et s’ils refusent de les accompagner en respectant leur rythme,
je ne vois pas ce que je peux faire à leur place.
Alors, je vis ce que j’ai à vivre moi-même,
ce qui peut déjà offrir un témoignage à ceux qui nous observent.
Et je me réjouis quand je croise d’autres parents
qui ont choisi une démarche respectueuse de leur enfant.

Voilà ma première passion : l’enfant, son développement, ses capacités impressionnantes.
Prendre soin de l’enfant me paraît essentiel.
C’est pour cette raison aussi que ma priorité n’est pas mon métier.
Si je dois le laisser un peu de côté, diminuer le nombre de séances, je n’hésite pas une seule seconde.
Ce sera toujours Gabrielle qui sera ma priorité.
La vie impose suffisamment tôt ses blessures pour que je n’ai pas besoin d’en rajouter.
Quoi que je fasse, même si je fais ma part pour la sécuriser,
la société se chargera tôt ou tard de la mettre à l’épreuve.
Je m’applique à l’accompagner quand il n’y a pas le choix
et à la préparer pour qu’elle apprenne à gérer les difficultés de façon autonome.
Mais je n’en serais pas la source quand il est possible de faire autrement.
Plus elle aura réussi son attachement,
plus j’aurais réussi à lui donner confiance, ressource et sécurité,
plus elle saura « faire avec » ce qui se présentera dans sa vie.
J’en suis profondément convaincue et d’autres l’ont constaté avant moi.
Alors, oui, pour le dire de façon caricaturale, c’est Gabrielle qui décide.
Ou en tout cas, je décide de répondre à ses besoins, tant que je le peux, quoi qu’il arrive.
Et ça ne m’empêche pas de vivre ma vie, bien au contraire !